Pas loin de 3 mois. C'est le temps qu'il aura fallu au gouvernement pour reconnaître officiellement les défauts de fabrication du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE), lancé en grande pompe le 1er juillet dernier.
« Suite à des remontées de terrain, des résultats anormaux ont été détectés sur les étiquettes du DPE (attribuées à) certains types de logements, parmi ceux construits avant 1975, explique la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) - entité rattachée au ministère de la Transition écologique, en charge du Logement - dans un communiqué en date du 24 septembre. Des analyses sont en cours afin d'identifier précisément l'origine des anomalies constatées, et y apporter les corrections nécessaires ». Celles-ci se feront via un arrêté (1) publié, selon nos informations, d'ici au 15 novembre prochain.
Rappel du contexte
Avant le 1er juillet, les classes énergétiques du DPE dépendaient de la seule consommation d'énergie primaire (Cep) du logement, mesurée en kWhep/m²/an. Les étiquettes de performance énergétique sont désormais calculées sur la base de deux critères : l'énergie primaire, mais aussi les émissions de gaz à effet de serre (EGES), exprimées, elles, en kgCO2eq/m²/an. Celles-ci n'étaient auparavant communiquées qu'à titre indicatif. La classe énergétique attribuée au logement (de A, pour les logements « extrêmement performants », à G, pour « extrêmement peu performants ») correspond à la plus mauvaise des deux performances ainsi mesurées.
3 logements sur 10 seraient des passoires
Cela fait pourtant plusieurs semaines que les diagnostiqueurs, relayés par les représentants des professions immobilières et des syndics, tirent la sonnette d'alarme. « Sur les quelque 300 000 DPE réalisés depuis le 1er juillet, 28 % ont fait ressortir une lettre F ou G, résume Thierry Marchand, président de la Chambre des diagnostiqueurs immobiliers de la Fédération nationale de l'immobilier (CDI - Fnaim). On atteint même 40 % pour les logements les plus anciens, ceux construits avant 1948 ». Bien plus, dans les deux cas, que les estimations de la profession. « Sur la base des données fournies par le ministère, nous anticipions 10 à 15 % de passoires thermiques tous types de logements confondus, et 20 à 25 % pour ceux d'avant 1948 », poursuit-il.
Si ces chiffres inquiètent, c'est que le lancement du nouveau DPE s'accompagne d'un durcissement très strict de la législation contre les propriétaires de passoires thermiques. La loi Climat et résilience, votée dans le courant de l'été (2), généralise le gel de loyer pour ce type de logements (3) et prévoit l'interdiction progressive de leur mise en location. Ainsi, les logements classés G ne répondront plus aux critères de décence locative à compter du 1er juillet 2025 ; il sera alors impossible de les louer, sauf à avoir entrepris au préalable des travaux de rénovation à même d'améliorer leur performance énergétique. Les logements « F » connaîtront le même sort 3 ans plus tard, le 1er janvier 2028 ; les « E » le 1er janvier 2034.
« Si rien n'est fait, ce sont 2 millions de logements environ qui se retrouveront impropres à la location dans un peu plus de 6 ans, reprend Thierry Marchand. Soit plus du double de ce que prévoyait le ministère ! ».
Des problèmes dans le moteur
Les raisons de ce décalage sont connues. Même si les « analyses » évoquées par la DGALN sont encore « en cours », les « remontées de terrain » ont d'ores et déjà permis de mettre à jour une série de dysfonctionnements directement liés à la conception du moteur de calcul du nouveau DPE.
Stéphane Prouzeau, vice-président de la Fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier (Fidi), cite ainsi, « le calcul du coût des consommations, par tranches, qui ne correspond pas à la réalité. Par ailleurs, certains paramètres du moteur de calcul liés aux habitudes de vie des occupants ont été fortement modifiés par rapport à la version précédente : en plus des changements sur la ventilation par ouverture de fenêtre, il semble qu'il y a un problème sur le calcul des débits d'infiltration d'air, qui donne des déperditions quasiment 10 fois plus importantes qu'avant ». Et d'évoquer également « un dernier point, qui ne joue pas sur la note mais agace tout le monde : l'estimation du confort d'été. Par exemple, si la fenêtre des toilettes ne comporte pas de volet, l'estimation est dégradée quels que soient les autres paramètres ! ».
C'est l'ensemble de ces points que le ministère - qui multiplie actuellement les consultations avec les différents corps de métier concernés, avant une réunion multipartite prévue pour le 4 octobre - prévoit de retoucher par arrêté.
On arrête tout, ou presque...
Dans l'attente de ce texte modificatif, la DGALN recommande rien de moins que la suspension de « l'édition des diagnostics de performance énergétique pour les logements datant d'avant 1975, hormis dans les cas rendus nécessaires par des transactions urgentes ».
Le choix de cette date, qui a pu surprendre, s'explique par le fait qu'« avant le premier choc pétrolier, il n'existait pas de réglementation thermique imposant un minimum d'isolation des parois des bâtiments neufs et le réglage automatique des installations de chauffage, comme le note Thierry Marchand, de la CDI-Fnaim. Même si ces normes se sont durcies depuis, c'est bien sur les logements construits avant 1975 que les résultats des DPE sont les plus pénalisants, du fait même de cette absence d'isolation a minima ».
Attention aux justificatifs
La publication d'un nouvel arrêté risque, a priori, de ne pas régler tous les problèmes. La plus grande fiabilité vantée du nouveau DPE tient en partie au fait qu'il ne s'appuie plus sur les consommations des occupants du logement, mais sur des données objectives. Finie la méthode dite « des factures » : les données renseignées doivent désormais être issues d'une mesure ou d'une observation directe du diagnostiqueur ; ou, à défaut, s'appuyer sur un document fourni par le propriétaire du bien ou provenir de données publiques disponibles en ligne. Or, les premiers retours de terrain montrent que dans bien des cas, la collecte de ces informations est compliquée, voire impossible. Comment connaître, par exemple, la nature et les qualités thermiques de matériaux installés il y a plusieurs années et dont le propriétaire du bien n'a pas lui-même idée ? La situation se complique dans les immeubles en copropriété, certains justificatifs devant être récupérés auprès du syndic, qui ne peut pas toujours y accéder rapidement, quand il les possède. Or sans preuve, un niveau par défaut est attribué, qui est alors le moins favorable. Là encore les logements anciens sont les moins bien traités, le nouveau DPE supposant, par défaut, une absence d'isolation de leurs parois.
Des propriétaires perdus
La recommandation d'interrompre l'édition des DPE, sauf dans les cas de « transactions urgentes », elle, laisse plus perplexe. « On comprend qu'il s'agit d'une mesure transitoire prise, précisément, dans l'urgence, mais que dit-on à nos clients ?, s'interroge Frédéric Pelissolo, agent immobilier parisien et membre du conseil d'administration de l'Union nationale de la propriété immobilière (UNPI). Passe encore de publier des annonces « en attente de DPE » - un comble, quand on se souvient que l'un des buts de la réforme était, précisément, de mettre un terme aux « DPE vierges ». Mais annexer à des contrats de vente ou des baux de location des DPE potentiellement faux semble plus délicat d'un point de vue juridique. « D'autant que depuis le 1er juillet, le DPE est opposable au vendeur comme au diagnostiqueur, poursuit Frédéric Pelissolo, qui évoque « des cas de propriétaires qui préfèrent attendre la mise à jour du moteur pour relouer un logement classé G, quitte à perdre plusieurs semaines de revenus locatifs ».
Confiant, Olivier Heaulme, directeur général du réseau diagnostiqueurs Diagamter, note que « les mesures prises par le diagnostiqueur lors de son passage restant valables, l'édition d'un nouveau DPE exempt de toute erreur se fera très simplement une fois le moteur mis à jour des corrections nécessaires ».
Simplement et gratuitement : la DGALN indique dans son communiqué que les « mesures correctrices qui seront intégrées dans le nouveau DPE » au terme des concertations en cours « seront de nature à garantir la qualité des DPE réalisés depuis le 1er juillet », et ce « sans frais supplémentaire pour les propriétaires immobiliers ». Plus de détail le 4 octobre prochain...
(1) Cet arrêté modifiera l'arrêté du 31 mars 2021. (2) Loi n° 2021-1104 du 22.8.21 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. (3) Art. 159 de la loi Climat modifiant les art. 17-1 et 17-2 de la loi du 6.7.89 et art. 140 de la loi n° 2018-1021.
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